La reprise chrétienne des fêtes païennes, deuxième partie

Au cours de la première partie de cet article, j’avais proposé l’ébauche d’une étude, consistant à examiner la manière dont le christianisme avait absorbé et intégré différentes fêtes païennes.

La première partie en question traitait des trois sabbats pour lesquels cette christianisation est la plus flagrante (et aussi la plus connue) : Samhain, Yule et Litha.

Pour cette seconde partie, j’ai voulu m’attaquer aux cas plus compliqués que sont Beltane et Lughnasadh. S’ils sont plus compliqués, c’est essentiellement parce que les dates ne correspondent pas de manière aussi visible que pour les trois fêtes précédentes et que, dans le cas de Beltane notamment, la christianisation de la fête s’est étalée sur une plus longue période. Les correspondances au niveau des symboles sont cependant bien présentes, mais il faut creuser un peu plus sur le plan historique pour s’en rendre compte.

J’ai bien conscience de l’avoir déjà dit au début de l’article précédent, mais je le répète malgré tout, il ne s’agit pas pour moi ici d’être exhaustif, et un travail complet sur la reprise chrétienne des fêtes et des symboliques païennes nécessiterait des années d’études et un livre entier. Je me contente de proposer une simple présentation, et quelques pistes d’exploration qui ne demandent qu’à être fouillées davantage.

Beltane (1er Mai)

Beltane incarne certainement l’une des fêtes les plus importantes du calendrier païen, et il est d’autant plus intéressant de constater que sa christianisation s’étale sur une période d’un mois environ, représentant trois des fêtes chrétiennes majeures.

Un petit rappel sur le sabbat en question pour commencer : pour ceux qui chercheraient la signification globale de Beltane, il n’est pas difficile de trouver sur internet qu’elle marque le passage de la saison hivernale à la saison estivale, le retour à la vie, et à l’activité. Il est néanmoins important de garder cela à l’esprit, car au delà de la symbolique vitaliste et « lumineuse » du sabbat, le fait d’envisager Beltane comme un moment charnière, comme une fête « transitoire » en quelque sorte, permet de comprendre plus facilement la manière dont le christianisme l’a reprise à son compte.

Pourtant, cette reprise est loin d’être évidente au premier abord. En ce qui concerne les trois sabbats dont nous nous étions occupés lors du premier article, il suffisait d’avoir un calendrier sous les yeux pour remarquer qu’il n’y avait que quelques jours de décalage entre ceux-ci et des fêtes chrétiennes bien connues. Ensuite, les correspondances paraissaient évidentes. Là, lorsque vous regardez aux alentours du 1er Mai, il n’y a a priori pas grand chose à se mettre sous la dent, et pas question de regarder du côté de la fête du travail bien entendu…

Malgré tout, Beltane est chaque année entourée d’une foule de célébrations chrétiennes (à peu près une dizaine), parmi lesquelles trois fêtes majeures, dont le parallèle avec le sabbat qui nous intéresse est au fond assez évident. Cela dit, ce qui nous complique encore un peu la tâche, c’est que les fêtes chrétiennes en question sont ce que l’on appelle un peu bizarrement des « fêtes mobiles », c’est-à-dire que leur date n’est pas fixe dans le calendrier, et peu même varier de plus ou moins un mois.

Je ne vais pas entretenir le mystère plus longtemps, et certains d’entre vous l’auront peut-être deviné, les trois fêtes chrétiennes dont je parle sont Pâques, l’Ascension et la Pentecôte. J’ai fait mention d’une dizaine de célébrations car ces trois fêtes majeures sont précédées ou accompagnées de nombreuses fêtes mineures comme les Rameaux, la Semaine-Sainte, les Jours des Rogations, etc… mais il sera amplement suffisant de nous concentrer sur les trois fêtes les plus connues évoquées à l’instant.

Au niveau des dates, ça se complique sévèrement, et je crois vraiment qu’il faut faire abstraction, au moins en partie, du calendrier, pour se rendre compte ici du parallèle entre paganisme et christianisme, car ce sont surtout les symboliques associées qui sont très proches.

En effet, le problème avec Pâques, c’est que la fête doit avoir lieu le premier dimanche qui suit la première pleine lune après l’équinoxe de printemps. Un sacré bazar qui nous amène à fêter Pâques entre fin mars et fin avril. Mais ça n’est pas fini, puisque l’Ascension et la Pentecôte ont lieu respectivement 39 jours et 49 jours après Pâques… avouez que la date du 1er Mai, c’était quand même plus simple !

Bon, trêve de plaisanteries, attaquons nous à la symbolique : pour faire (très) simple, Pâques fête la résurrection de Jésus, l’Ascension célèbre son élévation au ciel et la fin de sa présence sur terre, tandis que la Pentecôte commémore l’arrivée du Saint-Esprit.

Si vous vous souvenez de ce que l’on disait précédemment sur la symbolique de Beltane, en tant que moment charnière, vous verrez tout de suite le rapprochement. Beltane est en effet une fête de transition, on l’a vu, du passage de l’ombre à l’a lumière, de l’inertie à l’activité, du repos à la vie. Et ces trois fêtes chrétiennes qui marquent à la fois la résurrection de Jésus, son élévation et l’apparition du Saint-Esprit qui en découle marquent précisément la période de transition du calendrier chrétien.

Bien plus, on peut considérer que ces fêtes tiennent pour les chrétiens exactement le même rôle que celui assumé par Beltane pour les païens, dans la mesure où ces trois événements marquent précisément la naissance possible du christianisme à travers la renaissance de Jésus, de la même manière que Beltane célèbre chaque année le renouveau au sein du calendrier païen.

Je précise très rapidement mon choix d’avoir associé Pâques (entre autre) à Beltane, car ce n’est pas forcément évident. En effet, Pâques est fréquemment associé à Ostara, et c’est tout aussi pertinent dans la mesure où plusieurs symboliques pascales tirent leur source du sabbat qui fête l’équinoxe de printemps (les lapins, les œufs, etc…). Cela dit, j’ai envisagé ici Pâques dans une démarche plus globale qui consiste à grouper une dizaine de fêtes chrétiennes (dont 3 majeures), qui de facto sont indissociables les unes des autres d’un point de vue historique et qui tournent systématiquement autour de Beltane, avec, comme j’ai essayé de le montrer, un fort rapprochement avec l’esprit de ce sabbat. Cela dit, ces considérations sont assez personnelles, et je ne pouvais pas ne pas mentionner le lien courant qu’on fait entre Pâques et Ostara.

Lughnasadh (1er Août)

En ce qui concerne Lughnasadh, je vais adopter la démarche inverse de celle qui m’a animé jusqu’à présent, je m’explique. A propos des sabbats dont nous avons fais le tour pour l’instant, je suis parti de dates et de symboliques communes, pour retrouver le lien qu’il pouvait y avoir entre les célébrations en question et des fêtes chrétiennes. Dans le cas de Lughnasadh, j’ai en fait remarqué sur plusieurs sites internet, avec parfois un copier-coller flagrant, que ce sabbat était associé de façon systématique à la fête chrétienne de Saint Pierre aux Liens. De manière systématique, d’accord, mais sans aucune explication à ce sujet, et nous sommes sensés le tenir pour acquis par le simple fait que ces deux fêtes ont lieu le même jour, c’est-à-dire le 1er Août. Saut que lorsqu’on creuse un peu dans l’histoire de la fête de Saint Pierre aux Liens, c’est loin d’être aussi évident…

Pour commencer, vous ne connaissez pas nécessairement la fête chrétienne dont il est question, et c’est normal, elle n’existe plus. Nous allons donc faire un rapide détour par cette célébration supprimée il y a quelques décennies par le pape Jean XXIII.

Très rapidement, en l’an 43, Saint Pierre, le premier pape de l’histoire de la chrétienté et qui demeure connu comme « gardien des clés », fut emprisonné et enchaîné par Hérode Agrippa. Les chrétiens, en l’apprenant, se sont mis à prier pour sa libération et Dieu les auraient exaucés en envoyant un ange, qui libéra miraculeusement Saint Pierre de ses chaînes avant de l’aider à s’enfuir. Ces chaînes auraient été récupérées, puis conservées comme reliques, à tel point que c’est cet objet qui est véritablement au cœur de la fête de Saint Pierre aux Liens, et qui est vénéré au cours de cette célébration.

Bon, vu comme ça, on a un peu de mal à s’expliquer le rapport, présenté comme évident, entre la fête chrétienne dont on vient de parler et Lughnasadh, qui célèbre davantage la période des moissons, et qui est ancrée dans un culte terrien et agraire.

En fait, le rapprochement peut être trouvé plus facilement si l’on se dégage de l’historique de Saint Pierre aux Liens, et que l’on se concentre sur la signification que l’Église lui a donné. Lorsque les chrétiens célébraient Saint Pierre aux Liens, ils étaient en effet sensés retirer deux enseignements principaux de cette petite histoire : l’importance de la souffrance, et celle de la prière. Là, on touche au but. Car l’importance de la prière est bel et bien centrale au sein de Lughnasadh, ce sabbat étant en effet construit autour de prières adressées au dieu Lug, et à la Terre-Mère, notamment pour s’assurer une moisson satisfaisante, et une fertilité suffisante du sol. Cet aspect n’est pas anodin du tout, car pendant une très longue période de l’histoire, la subsistance de populations entières dépendait quasi exclusivement de l’agriculture locale, et ces prières adressées au cours du sabbat étaient véritablement fondamentales, comme ont pu l’être celles adressées à Dieu par les chrétiens, pour la libération de Saint Pierre.

Le deuxième aspect, celui de l’importance de la souffrance est, avouons-le, typiquement chrétien, les païens étant moins enclins à un culte du martyr. Cela dit, on peut tout à fait remplacer le concept de « souffrance » par celui de « labeur », assez proche sous certains aspects. Dans cette optique, on imagine bien que lors d’un sabbat à connotation fortement terrienne et agraire, construit autour de prières visant à favoriser une bonne moisson, le labeur est tout aussi important, les païens ayant compris très tôt que la prière n’était pas auto-suffisante, et surtout, qu’elle ne dispensait pas d’un profond travail individuel.

J’ajoute pour terminer que dans le dogme chrétien, le labeur est indissociable de la souffrance, puisque cela fait partie, selon le christianisme, des deux châtiments principaux que doivent subir les êtres humains après le péché originel : enfanter dans la douleur, et travailler dans la souffrance…

La véritable correspondance entre Lughnasadh et Saint Pierre aux Liens est donc peut-être ici, c’est à dire dans la valorisation de la force conjointe de deux éléments à la charge de l’homme : le labeur (la souffrance pour les chrétiens) et la prière.

Bien sûr, ces deux notions ont un peu perdu de leur sens aujourd’hui, ce qui explique peut-être la disparition de la fête chrétienne concernée, mais il faut garder à l’esprit qu’elles ont constitué malgré tout la pierre angulaire de nombreuses cultures durant une vaste période de l’histoire, et à travers plusieurs religions a priori différentes, voire opposées.

Auteur : Shaël

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