La lycanthropie : mythologies, psychiatrie et pathologies somatiques

La lycanthropie : mythologies, psychiatrie et pathologies somatiques

Les mythes du loup-garou, de l’homme-loup, ont alimenté de nombreuses légendes et un imaginaire collectif intense ainsi que, de nos jours, une somme littéraire et cinématographique extrêmement fournies. Ainsi, le loup-garou hurlant à la lune l’espace de trois nuits par mois, avant de retrouver forme humaine pour la période restante a été, comme nous allons le voir, une préoccupation ancestrale. L’antiquité grecque avait déjà largement mis le doigt sur un certain nombre des problématiques qui occupent actuellement le domaine médical en matière de lycanthropie, tout en alimentant un certain nombre de mythes. Cela étant, la période du Moyen-Âge et de la Renaissance a, par l’intermédiaire de l’Inquisition, jeté une nouvelle zone d’ombre sur ce phénomène. L’époque contemporaine, à son tour, jette un œil nouveau, bien que toujours paradigmatique, sur la lycanthropie, et nous oblige désormais à synthétiser cet ensemble qui, bien que profondément hétéroclite, conserve une certaine cohérence depuis plus de 2000 ans. Charge à nous de nous faire notre propre idée, désormais, sur ce fameux loup-garou.

Les mythes du lycanthrope

La croyance dans la transformation en loup-garou est particulièrement ancienne dans la mesure où elle remonte à l’Antiquité. Le terme « lycanthropie » porte d’ailleurs de solides origines grecques puisqu’il dérive du grec ancien lukanthrôpos, littéralement « homme-loup ».

A partir de là, de nombreux textes hébraïques, grecs ou romains feront mention de métamorphoses, en loup, ou en d’autres animaux, pour des raisons à peu près similaires. Car nous verrons plus loin que si la lycanthropie désigne au départ la transformation de l’homme en loup, ce terme regroupe désormais l’ensemble des pathologies impliquant une métamorphose animale.

Ainsi, depuis le roi Nabuchodonosor de l’Ancien Testament, changé en bœuf pendant 7 ans, aux récits de Virgile, en passant par le personnage de Lycaon, dont la transformation (punitive) en loup fut rapportée par Ovide, ou les rapports d’Hérodote évoquant un peuple de la mer Noire capable de se changer en loup à volonté par l’intermédiaire de la magie, les textes anciens sont légions à ce sujet.

Il est particulièrement intéressant de noter que dans l’ensemble de ces cas, la transformation en loup est quasi-systématiquement précédée d’un état dépressif et/ou d’un comportement anti-social, ou d’un appui magique. Ce constat, bien que s’appuyant sur des textes particulièrement anciens, aura au moins le mérite de préfigurer deux attitudes ultérieures face à la lycanthropie : celle du Moyen-Âge, dominée par l’Inquisition, et celle de la période contemporaine, dominée par la médecine et la science.

Sorciers et lycanthropes, même combat

Quelques temps après les « heures de gloire » de l’Inquisition, et plus précisément vers la deuxième moitié du XVIè siècle et le tout début du XVIIè siècle, l’organisme papale en question a condamné au bûcher des centaines de lycanthropes présumés pour des motifs similaires à ceux qui alimentaient les procès pour sorcellerie. Ces condamnations prennent même l’allure d’une véritable épidémie lorsque l’on constate que le seul juge Henri Boguet, spécialisé dans le domaine, s’est longtemps vanté d’avoir fait exécuter pas moins de 600 lycanthropes. Le Malleus Maleficarum lui-même, le fameux Marteau des Sorcières, consacre presque autant de soin à décrire les signes permettant d’identifier un loup-garou que ceux permettant de dénoncer une sorcière.

Et si sorciers et lycanthropes se retrouvent pourchassés par l’Eglise de la même manière, ça n’est pas un hasard. C’est parce que l’un comme l’autre, aux yeux de cette institution, sont de manière univoque porteurs des stigmates du diable. A la fin du XVIè siècle donc, de nombreux récits de procès relatent la manière dont certains lycanthropes errent la nuit dans les bois, en se nourrissant la plupart du temps d’enfants préalablement enlevés. Ces accusations rejoignent celles alléguées à l’encontre des sorciers, mais, dans la mesure où les condamnations font le plus souvent suite à des dénonciations, révèlent plus que tout les craintes et l’atmosphère fébrile, très largement entretenue par la présence systématique de l’Inquisition, de l’époque. Lorsque l’on repense aux descriptions du Marteau des Sorcières, et au climat de délation ambiant, alimenté par la crainte d’un groupe armé et tout puissant, le parallèle avec l’occupation allemande, en France, du début des années 40, est aisé. Mais ça n’est pas le sujet.

Cependant, même lors de cette période plus que sombre, la transformation en loup-garou elle-même, au sens physique, n’est non seulement pas avérée mais n’est pas communément admise, y compris par les juges qui condamnèrent des centaines de lycanthropes.

Déjà, la lycanthropie, si elle est considérée comme diabolique, est également vue comme une véritable pathologie mentale qui, bien que montrant de manière très claire les premiers signes d’une allégeance au diable, n’implique pas la croyance dans le fait que les accusés se transforment réellement en loup. Car oui, déjà, la lycanthropie est un signe de faiblesse, donc démoniaque pour l’époque, mais peu de personnes croient encore à des hommes-loups errant dans leurs bois, tout en étant persuadés que certains de leurs voisins se nourrissent de leurs enfant, la nuit, convaincus de leur incarnation en loup.

La lycanthropie psychiatrique

Car au final, et dès l’antiquité romaine, la lycanthropie n’est pas prise au sérieux en tant que métamorphose réelle. Pline l’Ancien l’a très franchement tournée en ridicule mais, plus intéressant, et dès le IIè siècle, Marcellus de Side y voit un trouble psychique lié à la mélancolie. Les bases de la position psychiatriques contemporaine face à la lycanthropie seront étonnamment posée au Xè siècle par le médecin et philosophe arabe Avicenne qui décrit parfaitement les principales symptômes antérieurs à ce que l’on considère aujourd’hui comme une pathologie psychiatrique : mélancolie, isolement social, activité nocturne et agressivité.

Déjà au XVIIè siècle, et peu de temps après la folie meurtrière de l’Inquisition, de nombreux médecins se penchent sur la question et commencent à distinguer la « lycanthropie naturelle », forme de mélancolie, de la « lycanthropie diabolique ». A partir du XIXè siècle, la lycanthropie devient clairement une forme de maladie mentale, et ce diagnostic demeure encore aujourd’hui.

Depuis cette époque, les classifications ont été aussi nombreuses que variées, mais la lycanthropie reste tour à tour associée, ou à la manie, ou à la psychose, ou à la schizophrénie. De nombreux cas de patients ayant la conviction de se transformer en loup ont alors été recensés, avec la plupart du temps de nombreux symptômes clés tels qu’une activité nocturne intense, une agressivité portant jusqu’au meurtre voire certains comportements zoophiles. Dès lors, démêler le mythe de la réalité, et la réalité de la psychiatrie devient compliqué, pour ne pas dire que nous sommes face à un vrai sac de nœuds !

D’autant que si la cynanthropie (la transformation en chien) a pu faire une brève apparition dans le jargon médical, le mot de lycanthropie est désormais associé, sur le plan psychiatrique, à toutes les forme pathologiques qui induisent chez le patient la conviction de se métamorphoser en animal, et ce qu’il s’agisse d’un loup, d’un chat, d’un oiseau, d’un rat, ou même d’un cafard… Exit l’étymologie, mais au moins, les choses sont plus simples. C’est toujours ça…

Lycanthropie et porphyrie

Afin de s’extraire un instant de l’approche psychiatrique, et d’expliquer quelque peu les appréhensions de l’Antiquité et du Moyen-Âges quant au phénomène de l’homme-loup, je crois qu’il est légitime de se pencher sur une pathologie somatique, une maladie physique donc, en particulier : la porphyrie.

En effet, si les loups-garous ont souvent été associés aux vampires, et encore aujourd’hui au sein d’un certain nombre d’œuvres littéraires ou cinématographiques, c’est parce que ces deux figures monstrueuses ont un certain nombre de caractéristiques en commun : un appétit féroce associé à des dents mortelles, des griffes à la place des mains et, surtout, une photosensibilité et une activité nocturne certaine.

Or, certaines recherchent avancent désormais que vampires et loups-garous, parfois considérés comme ennemis jurés, ne seraient en fait le résultat que d’une seule et même peur alimentée par une seule et même maladie : la porphyrie. Le Dr Illis, vers la fin du XXè siècle, est ainsi le premier à soulever cette hypothèse lorsqu’il constate que l’ensemble des symptômes de la porphyrie rejoignent les stigmates attribués aussi bien au lycanthrope qu’au vampire. Maladie génétique rare, la porphyrie est caractérisée par une dégradation enzymatique de l’hémoglobine, qui entraîne une génération excessive de porphyrines, molécules toxiques pour l’organisme lorsque trop concentrées. Les symptômes sont équivoques : douleurs abdominales, atteinte du nerf ulnaire provoquant un blocage de la main avec une forme caractéristique de doigts « en corne », hyper-pigmentation de la peau accompagnée d’une photosensibilité sévère, impliquant que les patients préfèrent généralement sortir la nuit, dents colorées en rouge, syndromes confuso-oniriques, possibles hallucinations visuelles et auditives,… ajoutons à cela que les sujets porphyriques, souffrant du même coup d’une défaillance hépatique, ne supportent pas la consommation d’ail, vampires et lycanthropes ont peut-être été condamnés trop tôt…

Auteur : Shaël

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